L'Histoire compte de nombreuses sagas, dont les échos parviennent encore à transcender les siècles, pour nous enseigner que le passé méritait lui aussi son lot de paparazzi. Mais des paparazzi à cheval et à chevalet, improductifs et nécessiteux, car il fallait que le sujet pose plusieurs heures pour parvenir à voler son image sur la toile.
Parmi ces sagas, celle de la famille Borgia, qui a fourni deux papes et certains empoisonneurs mémorables. Les Borgia furent accusés pêle-mêle de fratricides, d'incestes, d'empoisonnements et de trahisons diverses.
Bref, une famille noble qui aurait rendu Stéphane Bern tout frétillant, prêt à se faire téléporter au XVe siècle, tel starminator, dans une nuée de crépitements et de fumée, avec pas grand chose sur lui. Parmi les Borgia, il aurait pu interviewer César, Rodrigo et Lucrèce, qui était un peu la Paris Hilton de la Renaissance, avec pourtant comme différence fondamentale une grande intelligence.
Parlons bio. Lucrèce était la fille du cardinal Rodrigo, soeur de César, fiancée à 11 ans à Chérubin de Centelles et à Gaspare de Procida (simultanément oui oui, on ne s'ennuyait pas au château Saint-Ange), mariée à 13 ans à Giovanni Sforza, maîtresse de Perotto (tué par César), mère d'un fils resté anonyme, mariée à Alonso d'Aragon (tué par César), mère de Rodrigo de Bisceglie, mariée à Alfonse d'Este, mère d'Hercule, d'Hippolyte, d'Eleonore et de Francesco, accusée d'avoir entretenu des rapports avec son père.

Rodrigo devint pape sous le nom d'Alexandre VI (Lucrèce étant donc la fille plus ou moins avouée du Pape). L'histoire de la famille était empreinte de mariages arrangés, afin de gagner influences et territoires, mais Lucrèce était en elle-même un beau parti (fille de pape, dot considérable et beauté réputée...). Ce furent là les premières étapes de la déchéance des papes, qui menaient alors une vie bien dissolue. Pendant ce temps, Savonarole - le prédicateur - exercait de son influence à Florence pour dénoncer les péchés de l'Eglise. Voilà donc le cadre de l'intrigue, extrêmement condensé.
Afin de s'imprégner un peu plus de personnage de Lucrèce, avisons la description qu'en fait Victor Hugo, dans le drame du même nom.
Prenez la difformité physique la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la où elle ressort le mieux, dans le coeur d'une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime ; et maintenant, mêlez à toute cette difformité morale en un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel ; dans votre monstre, mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette âme deviendra presque belle à vos yeux. La maternité purifiant la difformité morale, voilà Lucrèce Borgia.
Comme on peut le voir, Victor en avait gros sur la patate. Mais si l'on retient encore aujourd'hui le nom des Borgia, c'est surtout pour leur exquise maîtrise du poison. J'en viens là au but de l'histoire : vous enseigner la recette secrète du poison des Borgia, la Cantarella, dont on dit que le pape lui-même faisait abondamment usage. Nous avons tous un ennemi dont le débarras apporterait un nouveau souffle à l'humanité, un propriétaire hargneux ou un facteur envahissant très porté sur le café.
Le processus de fabrication nous est cette fois-ci conté par Voltaire.
La bave d'un cochon rendu enragé en le suspendant par les pieds, la tête en bas, et en le battant longtemps jusqu'à la mort. [...] Il semble que le poison des Borgia ait été un mélange d'acide arsénieux et d'alcaloïdes putrides. Il se préparait ainsi : on sacrifiait un porc, on saupoudrait d'acide arsénieux les organes abdominaux, et on attendait que la décomposition - retardée d'ailleurs par l'arsenic - fût complète. Puis, suivant qu'on comptait l'utiliser sous forme de poudre ou de gouttes, on n'avait plus qu'à faire sécher la masse putréfiée ou à en recueillir les liquides.
Bon, c'est sûr, il faut habiter à la campagne. Parce que le cochon pendu à la tringle du rideau de douche, c'est un coup à se retrouver en pénurie de Chanel N°5 avec la brigade des moeurs et 150 kg de viande sur le dos.
Bonne fête des mères... et des belles-mères (mais ceci n'a aucun rapport avec la recette précitée bien sûr). Ô pardon, bonne fête maman.